jeudi 31 janvier 2013

#10



C’est de la Dynamite, de la Dynamite, de la DYNAMITE…

Il n’avait que ce putain de mot à la bouche et il le répétait comme une comptine pour enfants. Un peu de plus et il allait m’exploser à la gueule, un beau plantage qu’il me faisait là.

De la DYNAMITE je te dis, de la DY-NA-MI-TE

Je ne voyais pas bien où il voulait en venir. Il avait passé la dernière heure à m’expliquer son idée révolutionnaire, comme quoi il allait réconcilier le monde entier en écrivant un film sur la vie de Lewis Caroll, mais transposée au XVIIIe siècle.
Une pochade tout au plus, l’un de ces films grotesques dont il avait le secret. Je me souvenais encore de sa version de peau d’âne de l’été précédent, où il avait absolument tenu à remplacer l’élément central par de la squame de reptile.

De la Dynamite, tu te rends compte ?

Oui oui, je lui ai dit. Autant enfermer mes objections, de toute façon il allait le tourner ce putain de film, manquait plus qu’à trouver la vedette. Je voyais déjà le casting. Un grand brun avec une coupe Prince Valiant pour le révérend. Quant à la petite Alice, on trouverait bien une actrice porno désireuse de se reconvertir pour l’incarner, une fille en bouche et en seins à qui on enfilerait cette saloperie de robe bleue et Blanche made in Disney et qui ferait des mamours à n’en plus finir, et roule ma poule jusqu’à ce qu’on ait plus de péloche.

De la Dynamite, de la Dynamite.

Là j’ai suspecté un problème chez lui. Il était peut-être en train de me faire un putain d’AVC là, devant moi. Son cerveau malade avait tourné à n’en plus finir, il était tombé dans le terrier du lapin et il allait rester là pendant des jours et des jours à répéter toujours le même mot, les mêmes phrases.

Et puis il m’a souri. « T’as compris qu’il m’a dit ? »

Ouais ouais,

De la Dynamite !

jeudi 17 janvier 2013

Ping #8TER - N. D.

PONG! victime de son succès? Cette semaine encore, une contribution extérieure, en rebond à la vidéo n°7. Et c'est signé N.D. On la remercie encore et encore pour ce très beau renvoi de balle. Retour aux pongs la semaine prochaine avec une nouvelle vidéo.


L'Homme en rouge/
Vie en bleu/
Sommes sommes sommes
Quand je répète ton prénom en boucle dans ma bouche/ Je le lis et il prend son sens, quand je le répète il se délite, c'est un autre toi/
Et je m'y prends, à réfléchir, je me prends à penser au mot/ Que si tu avais une aura elle serait floue,
tu ne dégagerais rien et ça
ne serait surtout pas rouge

Je ne ferai pas mon sourire flou celui de tous les jours, toi tu ne comprendrais pas/ Tu me parlerais comme d'habitude, je ferais semblant de voir autour de toi
un halo et/ Ce ne serait pas dans tes yeux

Une lueur étrange habitait son regard. On n'y voyait que sa bouche, un trou de pupille rouge et blanc. L'iris bleu perçait à peine, et sa voix de craie crissait. Difficile de distinguer qui étaient les yeux qui étaient les lèvres, lorsqu'on l'apercevait dans un coin de vitrine, attendant, on était surtout frappé, non par son visage, mais par son rien. Si peu de consistance, un défaut de naturel - c'était un croque-mort un croque-dents, c'était l'assureur du coin, le commis de voyage en vitrine, la mallette ambulante de bureau-. S'il parlait le son sortant aiguiserait c'est sûr, les instincts de méfiance ou bien ce serait doux comme un sirop; il ne parle jamais ne tapote pas des doigts, pour compter, battre la mesure, il est étranger au rythme et seulement dans un cri, on pourrait l'imaginer vivant, uniquement s'il hurlait, mettre la vie dans l'image de l'attente. Une salle de blanc, des comptoirs bruns, beaucoup de verres, ça brille et c'est aussi flou, que lorsqu'on plisse les yeux et qu'on voit, à travers les cils, une brume de petits filaments noirs. J'en tords certains pour faire de la place, il voudrait moduler le flou à sa guise, se caresser ces poils pour mieux voir. Observer si le bulbe vient avec lorsqu'on arrache, même s'il sait que c'est la racine, c'est trop profond moins rond, ce millimètre blanc ou noir, le bulbe - désolé, le mot conviendrait mieux. Le bulbe de ses yeux rond comme un globe, celui qui laisserait passer la lumière, il y verrait à travers toi, la lueur ne serait pas floue et comme ça, tu sais on peut donner des auras aux gens, on joue à qui brille plus que l'autre, lui il ne joue plus depuis longtemps, c'est les éclats qu'il veut, les éclats ceux qu'on ne trouve pas dans les autres, les éclats fixes et immobiles des carafes. Les tubes à longs cols stériles, il les avait toujours imaginés rouges, avant de voir qu'il n'y a pas de couleur. L'endroit où il attend est blanc, ça fait bien longtemps que tout est blanc. Les globes les tasses à café les globules les dents les poils les odeurs, je voudrais du rouge, je prendrais du bleu pour te faire de l'indigo, tu creuserais pas et en fait, tu continuerais. Le voir c'était l'indifférence. Il attendait en costume, bleu foncé mal coupé, il n'attendait personne, marine et boutons de blazer marron. Avant il aurait senti le tabac froid, le regarder c'était la terreur. Qu'est-ce qui peut être aussi creux, que ses yeux, que son creux de bouche, sec et blanc, grumeleux salive qui scintille, la lueur de son regard, c'est comme si toi-même tu signais, jamais il ne t'a forcé, et tu te condamnes
à l'éternel retour.

Digue digue digue

Sommes sommes sommes sommes

Hommes hommes hommes

Tu comptes

pas


(à)

jeudi 10 janvier 2013

Ping #8BIS - Dorothée Sers-Hermann

Un Ping est un pong un peu spécial puisqu'il s'agit d'une contribution extérieure. Celle-ci qui nous a été envoyée par la peintre et poétesse Dorothée Sers-Hermann (qu'elle en soit mille et mille fois remerciée), dont vous pouvez admirer le travail de peintre en  suivant ce lien. Nous vous rappelons qu'il vous est tout à fait possible de nous envoyer vos contributions, tout en gardant à l'esprit que c'est le bureau central du Pong qui décide s'il y a lieu de les publier. Merci de votre attention, retournons à nos Pongs!


Il y a des rivières, des fleuves d’hommes,
Des tonnages de parlers. Idolâtrer
Le Mont des Déchets, civilisation de l’Inutile ?
Ô je me sens de l’entre-deux,
De l’Époque du Grand Rien.

Âge barbare, un jour l’on te jugera,
À l’aune de ton orgueil qui fait du vent.
À la mesure des vies écrasées et gâchées
Que tu as offertes sur l’autel aveugle,
Sourd et muet de l’effigie de toi-même.

On te demandera compte du sang,
Des vies et des esprits gâchés, détruits,
On te jugera plus sévèrement encore
Que ton regard sur l’Étranger,
Que ton opinion sur le différent.

Moi je prophétise, âmes malades, amies,
Que toute notre tristesse est bien réelle,
Que nos vies sont vidées, nos actions contrées,
Et qu’il y aura Justice pour nos matins brisés,
Justice pour nos noms volés.



jeudi 3 janvier 2013

#8 - HORS-CHAMP

Tout ça devait bien avoir eu un début. Oui. Un début.
Elle ramasse ses souvenirs. Des grains de poussière voltigent devant l’objectif.
De notre point de vue, on ne peut concevoir autrement sa vie que comme la sublimation d’un concept, de sa naissance tangible jusqu’à sa pure et simple dématérialisation.
éthéré.
C’est un mot surfait - presque un cliché - mais il convient bien à la situation d’Audrey.
L’important est de déterminer l’origine, le point de départ de cette évolution vers l’abstraction qui ne peut simplement concorder avec la naissance biologique.
De son point de vue, c’est un manteau rouge aux boutons de nacre et au revers doublé de fourrure.
C’est ça le début.

L’achat, la boite, les circonstances importent peu, tout a été oublié Seule reste la première impression lorsque, juste après l’avoir passé, elle se précipite devant la glace de l’entrée. Elle est la première à s’admirer et, la première à poser ses yeux sur son corps comme une spectatrice, avec une distance qui lui fait aimer ce qu’elle voit, cette jeune fille élégante, au beau manteau rouge, de l’autre côté de la glace.
Elle se promène et on la regarde. Elle a douze ans et déjà, elle ne désire plus qu’être une image qu’on regarde, une présence vidée de toute substance. On l’emmène voir ses premiers films. Elle ne lit pas les panneaux. Elle ne cherche pas à comprendre l’histoire. Seules lui importent les poses, les gesticulations et le teint blanc des actrices, leur maquillage outrancier, l’application qu’elles mettent à surinterpréter des émotions. Tout un monde factice où l’on peut s’inventer une vie en quelques mimiques, le temps d’une trentaine de minutes, de quelques heures, et offrir la superficialité au monde comme un baume au cœur, se donner, dans toute sa vacuité devant une boîte en bois en se disant qu’à l’intérieur, l’œil de milliers de personnes regarde la surface de la peau de l’actrice sans jamais pénétrer plus loin que la couche de fond de teint.
Elle est plus âgée, et l’idée de jeu a désormais envahi son sens de la séduction. Elle a compris que les hommes n’aiment rien tant que ce qu’ils ne peuvent avoir. Elle a de nombreux amants et aucun amour pour eux. L’un est un pilote en vue, l’autre est propriétaire d’une affaire fructueuse. Un troisième est un écrivain prometteur. Le dernier en date est producteur. Il lui présente du monde dans le cinéma et elle sent enfin que tout ce en quoi elle croit va s’accomplir. Elle court des soirées, rencontre ce type au regard vicieux, le crane rasé, un monocle coincé à l’œil droit. Il lui propose un rôle dans un film plein de femmes, un petit rôle pour lequel elle n’est même pas créditée.
On commence à parler de cette inconnue, celle qui n’apparait que quelques minutes, quelques secondes à peine dans le dernier Stroheim. On l’appelle, on la courtise. Elle tourne, elle est plus vide que jamais. Elle aime ça, cette absence d’angoisses ; elle se transforme, elle se dissipe. Tout son être concentré en deux dimensions, sur la pellicule. Est-ce comme ça qu’on abandonne son âme ?
Elle rencontre un homme, un acteur. IL fait semblant lui aussi. Elle est heureuse, avec lui, c’est tous les jours tournage. Hors cadre, ils jouent encore. Un rôle d’amants transis pour les habitués des restaurants où ils descendent, on se chamaille à la maison, il la frappe, elle camoufle les bleus sous un peu plus de fond de teint. Elle est blanche comme la mort, femme mystérieuse qui s’enfuit de chez elle, les cheveux défaits. Ils jouent encore lors du divorce, devant les tribunaux ; un de leurs meilleurs rôles, largement bissé. Ils se remettent ensemble.
On lui propose un premier rôle, elle est la première, celle qui fait le mieux semblant. Le studio va mal, le tournage est annulé. Un second projet est lancé, on l’annule encore. De nouveaux studios s’intéressent à elle, elle devient tsarine, acrobate, prostituée, femme de ministre, amoureuse transie, personnalité complexe, forme de cellulose. Elle brule pour un rien, et c’aurait pu continuer si un joueur de Jazz blanc couvert de cirage ne portait un coup fatal à sa période de gloire.
On lui demande de parler, mais la péronnelle a une voix de crécelle, un couinement inarticulé qu’un sourire ne suffit plus à faire passer. On calme son jeu, on lui demande d’interpréter. Elle panique. Les cours de diction n’y changent rien. Elle panique. Elle s’entête, devient la maîtresse d’un nouveau producteur qui l’exhibe. Elle se remplit, elle panique. Pour la première fois son être se remplit d’une émotion jusqu’au débordement. Son amant la produit, la réalise. Elle, elle le ruine, le film est un échec douloureux, sa carrière est finie.
Elle qui se trouvait bien en deux dimensions retrouve toute sa mesure. Ses formes se remplissent à mesure que le chagrin remplace la colère. Elle veut rester sur les plateaux. Elle n’a plus d’amants. Beaucoup de choses ont changé. Elle ne fait plus semblant ; elle n’y parvient plus. son jeu s’est figé en une moue larmoyante qu’elle cache difficilement. Elle accepte des postes de plus en plus dégradants, l’ombre d’une femme qui erre entre le matériel après la fin du tournage, et s’estompe doucement. Il n’y a même plus de projecteurs pour elle, pas assez de lumière pour qu’une ombre puisse persister. Elle s’enfonce progressivement dans la résignation, elle rejoue les scènes de sa jeunesse dans le noir, devant les objectifs bouchés, les caméras sans pellicule, une manière de fondue au noir.
Un jour, peut-être, elle voit une lampe s’allumer, elle s’avance sur la scène, une dernière fois, et s’abandonne à la chaleur des halogènes, elle sourit, elle mimique, elle mimétique, pleine de grâce, et un peu de ce qu’elle était lui revient. Retrouver la sensation de son corps qui se dissipe sous les yeux des spectateurs, ses repères en deux dimensions, ses minauderies de porcelaine précieuse et, sans un mot, elle se laisse engloutir par le néant, un tourbillon de paillettes, un halo pâle. La dernière représentation d’une étoile, une supernova trouble qui fige l’halogénure d’argent en taches iridescentes.