jeudi 14 août 2014

#16



Le gras Vidamme et son petit serviteur étaient partis en ballade. On les avait vu prendre le chemin des morts, là où la route sinuait entre les tombes pour arriver au bosquet de la Vestale où résidait, seule, une jeune fille mystérieuse qui restait caché au plus sombre des futaies, vivant de baies et veillant l’esprit de ceux qui reposaient non loin de sa demeure. 

Ils se faufilèrent donc entre les tombes. Le gras Vidamme soufflait, transpirait. Il avait mis de beaux escarpins montés sur hauts talons et les plis de sa robe cérémonielle se laissaient agripper par les ronces. Derrière lui, le petit serviteur pestait à chaque fois que l’étoffe manquait de se déchirer, sachant qu’alors, la correction lui serait donnée. A chaque épine malicieuse, il se jetait prestement dans le buisson, s’écorchant la peau nue aux caprices des ramilles. Dans le ciel, la lune s’était levé, posant sur la vallée une clarté inhabituelle, la lumière, très blanche, dévalait les pentes calcaires, culbutait par-dessus les taillis et finissait par se refléter à la surface de la rivière. De la ville ne restait qu’un éclat de flambeau bien diffus et une rumeur lointaine de la fête qui se donnait dans les dernières villas. De soupir des morts, point jusqu’alors. Devant, la sylve aux troncs resserrés, comme entourée de murs épais de bois gris, n’offrait que peu de prises au regard. 

Le gras Vidamme n’en était pas là, il était bien trop occupé à vérifier ses pas sur le pavage inégal. Encore étourdi par les vapeurs d’alcool, il avançait sans rien voir. A peine connaissait-il la direction dans laquelle il était parti. Cette soirée l’avait profondément ennuyé surtout quand le Chevalier Hecton s’était montré grossier en insinuant qu’il lui arrivait de dédaigner sa vieille épouse pour son jeune page. Alors qu’il venait de se retirer, l’idée s’était imposée dans la masse adipeuse qui tenait de cervelle au Vidamme, d’exercer à l’encontre du chevalier une de ces petites vengeances mesquines qui avaient fait sa réputation, qu’il avait fort mauvaise. Il était donc parti pisser contre la porte de la villa, mais, chemin faisant, il avait oublié. L’air lui plaisait et faire demi-tour aurait alors constitué une manœuvre bien trop difficile.
Ses pensées l’avaient emporté et il pataugeait dans la boue depuis dix bonnes minutes. La forêt tout entière l’avait englouti et, même s’il n’y voyait goutte, il avait continué droit sa route dans un marigot fangeux qui avait ruiné ses escarpins et le bas de sa robe. Il se retourna visiblement contrarié vers son petit serviteur, lequel s’époumonait depuis déjà longtemps essayant de ramener le gras Vidamme à la conscience. La tunique maculée de boue, les larmes aux yeux, garçon avait perdu tout espoir en ce gros bonhomme qui lui tenait lieu de maître et qui, déjà en temps normal, n’était pas facile à supporter.
La brume se leva enfin, le Vidamme vit les branches emmêlées, noires et menaçantes, les mousses et les lichens, les ronces et la boue, les murmures du vent dans les feuilles lui parvinrent, et les éclats de l’eau qui venait se fracasser sur quelques cailloux pointus. Soudain, il eut envie d’un bain

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M’en vais t’en peler, des couches, moi ! Te dynamiter les entrailles, te faire péter les viscères. Te fouir dans la chair, dégorger… arhhh tu va voaaaaaaar !
de djeuuuu ! J’vais !... J’vais !...
Il ne savait plus vraiment qui parlait, si c’était lui ou un autre, ou pire, un autre à l’intérieur de lui… mais ça gueulait comme ça, d’un bout à l’autre de la rue. Puis ça commença à sentir une drôle d’odeur de merde.

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Passer les rayons habillage, marcher léger, léger, pour ne pas qu’on se fasse apercevoir, presque plié en deux. Cache-cache derrière les jeans, direction les cabines pour pas que le bonhomme dégueu nous voie. Le type avec une tronche de mélanome qui gueulait sous le pont, tout seul, les deux pieds plantés dans sa propre merde ; et qui s’était mis d’un coup à courir vers nous. On avait pas bien compris ce qu’il disait, il parlait la langue des gros mots, quand tout, jusqu’au plus petit article devient vulgaire, la langue de l’alcool, celle qu’on parle à cinq grammes, avec une prononciation dis-tin-guuuueeeuuuuueee, la langue gonflée, morceau de chair presque mort, collée au palais. Qui disperse les mots en postillons glavioteux, qui désintègre la pensée et rend l’esprit comme une page blanche.

Etait-il entré derrière nous ? On s’approcha pour le guetter, relever le rideau, légèrement, centimètre par centimètre.

pas se faire prendre par surprise.

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Ils avaient erré entre les troncs sans trop oser s’éloigner des buissons et puis ils l’avaient vue, minuscule silhouette enfantine qui s’était enfuie devant les jurons du gras Vidamme alors qu’il constatait les dégâts de sa toge. Ils l’avaient poursuivi, faute de mieux, trébuchant sur les racines là où ses pieds entraînés cabriolaient prestement. Un instant, ils crurent l’avoir perdue, mais l’éclat de la lune sur l’eau lisse d’un petit étang la trahit. Acculée, elle n’osait plus bouger.

Le gras Vidamme extirpa ses bourrelets d’entre les taillis, composa sa meilleure figure et s’approcha de l’enfant, toujours suivi de son petit serviteur. Sa révérence fut exquise et son baisemain parfait, frôlant à peine la peau. Il lança à la nuit un compliment, puis, se retournant vers son serviteur encore rompu de s’être trop agité depuis le début de cette soirée, il entreprit de se dévêtir, exhibant une série de rondeur pendouillantes au niveau du ventre. Trois, quatre, cinq bonnes bouées apparurent alors qu’il délaçait ses escarpins à haut talon qu’il balança nonchalamment à la figure duserviteur. Une main sur son sexe flasque, l’autre dans ses cheveux qu’il maintenait relevés sur sa tête, il s’avança vers l’étang et entra dans l’eau avec de petits cris jusqu’à être totalement immergé.